Dans Strasbourg en surchauffe, le Transiscothon a rassemblé, les 9 et 10 juin, des membres du Copil et le groupe d’Alternatiba local. Ce dernier souhaite construire une carte locale à trois volets : le monde d’avant que nous ne voulons plus, le monde d’après espéré et les acteurs du changement, en passerelles. L’expérience du Transiscope, les questionnements qui le traversent, les débats autour de sa charte (voir Klaxon #14), le travail fait avec les sources pour faire réseau et nourrir la carte finale ont appuyé la réflexion locale. Il a notamment émergé la nécessité de faire de cette carte, un outil d’éducation populaire.
Forger un récit du territoire, parcourir les alternatives existantes, sensibiliser au voyage d’un légume par exemple, partir des problématiques individuelles, un tel outil permettrait, au cours d’ateliers, de réfléchir aux transformations nécessaires individuelles et collectives pour passer d’une économie capitaliste à une autre économie. Mettre fin au productivisme à outrance, la compétition, l’enrichissement, la domination, l’accaparement et l’exploitation jusqu’à épuisement des ressources naturelles et humaines, et construire une autre économie solidaire, basée sur les principes de réciprocité, coopération, intérêt général et création de communs. Cette économie pourrait s’appuyer sur un texte qui ferait la synthèse entre la déclaration universelle des droits de l’homme, les droits culturels, la charte de la diversité et la charte de la terre. Elle consoliderait les germes déjà existant (et que souhaite recenser le Transiscope) en prenant garde aux idéaux de perfection, à la croyance d’un « homme nouveau » dont on connaît aujourd’hui les effets dévastateurs.
Qu’entendons-nous donc derrière le mot d’alternative
Les chemins et les pratiques qui nous amèneraient vers cette économie apparaissent essentiels ; le sens des mots pour se comprendre également. Qu’entendons-nous donc derrière le mot d’alternative qui est le mot choisi dans la charte du Transiscope pour désigner les points qu’elle souhaite représenter sur sa carte ? Pour réfléchir à cette définition, autour de la table se sont retrouvés outre les membres du Copil du Transiscope que sont Alternatiba, le Mouvement pour une économie solidaire et le Collectif des associations citoyennes, des représentants de la monnaie locale le Stuck , l’association Les solutions existent, Framasoft, Les Licoornes, Alsace Réseau Neutre et un élu de l’eurométrople de Strasbourg. Chacun.e a présenté sa structure et révélé les ingrédients clés, à leurs yeux, d’une alternative.
Pour le Stück, les entreprises de leur réseau doivent être locales, indépendantes, non cotées en bourse (évidemment) et prendre en compte ses impacts environnementaux et sociaux. Les Licoornes estiment essentiel que les membres de leur réseau partagent une même vision : redonner à chacun.e le pouvoir de changer radicalement l’économie vers une bifurcation sociale et environnementale. Ils doivent avoir une gouvernance partagée, les neuf membres qui composent le réseau sont des SCIC, prônent la « durabilité » en pensant leurs besoins en ressources naturelles les moins couteux possibles, leur projet doit viser l’intérêt général et leur modèle s’inscrire dans la « profitabilité limitée » c’est à dire que 57% de leurs excédents sont réinvestis dans le capital et leur entreprises ne peuvent être rachetées. L’association « les solutions existent » recense les associations, SCIC, SCOP et « autre modèle juridique privilégiant le bien commun ». Ces structures doivent être locales, organiser leur gouvernance autour du concept d’une voix pour une personne, et être « 100% écologiques et sociales ». Framasoft pense à un monde libéré du capitalisme de surveillance promu par les GAFAM grâce aux logiciels libres, partagés par des pratiques d’éducation populaire, qui permettent la création de communs numériques, soutiennent les gouvernances collectives, relient les collectifs entre eux et soutiennent leur émancipation.
Au-delà de ces visions associatives et coopératives singulières, la notion d’alternative s’articulait, pour les personnes présentes, autour de plusieurs mots : « réinvention » de l’économie, des politiques, des ressources, des outils ; « ralentissement », reprendre pouvoir sur le temps, réguler, penser la sobriété ; « renoncement », comment faire avec moins ? Ce dernier point à fait l’objet de controverse notamment autour de la notion de subvention que certains refusent, comme Alternatiba, pour être hors de toute influence du pouvoir quand d’autres, comme le CAC, revendiquent la défendre, pour se dégager notamment de l’influence du monde marchand et financier qui aujourd’hui récupère, via des fonds privées et des mécanismes de marché, les initiatives citoyennes à son profit.
Une controverse essentielle à poursuivre pour s’outiller dans ce long travail du Transiscope et des cartes locales vers une économie plus désirable.
Un article tiré du Klaxon #15 – juin 2023